Spinoza, philosophe juif néerlandais, frappé à 24 ans de bannissement à vie par sa propre communauté, a consacré sa vie à la réflexion théologique. Il a souvent été taxé d’athéisme, de son vivant et, parfois, encore aujourd’hui. Il soutenait que les règles que l’on s’impose à soi-même par la force de la raison mènent à la vertu et donc au bonheur, alors que les règles qui viennent de l’extérieur de soi mènent aux passions et au vice. Sa pensée est un peu ardue, par elle-même mais aussi par une certaine pesanteur de langage.
« Le bonheur n’est rien d’autre que la joie éprouvée par un être qui réalise librement son désir.
« Et cette joie ne vient de rien d’autre que de la connaissance de soi-même. Il s’ensuit que la chose la plus utile pour atteindre le bonheur est la connaissance vraie de soi et tout ce qui y conduit, à savoir les vertus et leurs causes.
« Inversement, la chose la plus nuisible est la méconnaissance de soi et tout ce qui y conduit, autrement dit, les passions et leurs causes.
« Dans la mesure où les hommes sont soumis aux passions, ils ne peuvent s’accorder parce qu’ils ne sont pas libres et joyeux et ne sont pas dirigés par la compréhension et la vertu. Ils sont inconstants et vicieux les uns envers les autres et ils s’opposent avec colère dans des conflits sans fin. Les passions et les vices ne peuvent que développer la haine et la crainte entre les hommes, en particulier quand plusieurs aiment ce qu’un seul peut posséder : une personne, un territoire, un travail, une réputation, un bien matériel, etc.
La raison, source du bien
« Au contraire, plus les hommes vivent dans la raison, plus ils sont libres, vertueux et joyeux, et plus ils s’accordent en nature. Plus nous connaissons que nous sommes une manifestation de la Vie, plus nous connaissons notre véritable puissance divine telle qu’elle s’incarne dans notre être fini.
« Nous comprenons que la source du bien, de la vertu et du bonheur est la connaissance de soi, et aussi la connaissance de la Vie. Et tout ce qui permet de prendre conscience que nous sommes vivants, parfaits, réels, divins ou naturels est absolument bon. Par ailleurs la compagnie d’autrui et la fréquentation des sages nous est extrêmement utile tant que nous n’avons pas développé complètement notre sagesse par la connaissance de nous-mêmes et de Dieu.
« Agir par vertu n’est rien d’autre que vivre sous la conduite de la raison, en faisant tout ce qui est réellement utile à notre bonheur. Quand nous sommes vertueux, nous ressentons que nous sommes libres et puissants et nous en éprouvons une joie totale et pure dans le sens où elle est sans crainte, sans tristesse et sans haine. Qu’elle soit fermeté ou générosité, qu’elle recherche sa propre joie ou celle d’un autre, l’action vertueuse est ainsi toujours accomplie sans le sentiment de faire un effort, alors même qu’elle demande la mobilisation d’une énergie, et suppose donc, en un certain sens, un effort de notre esprit et un mouvement de notre corps. L’action vertueuse s’accomplit en effet toujours de manière joyeuse, spontanée et naturelle, par le mouvement même de la Vie. »
Baruch Spinoza (1632-1677)
La connaissance de soi est un processus et non un but. Être heureux tel que le définit Spinoza est donc impossible.
La raison comme guide vers le bonheur n’est pas non plus quelque chose de nouveau, on retrouve la même chose chez les philosophes grecs et chinois. Il est intéressant de remarquer que cette vision mécaniste du bonheur est élaborée par des notables, dont on peut se demander s’ils s’appliquaient leurs propres recommandations.
Il est étonnant de constater qu’aucun grand philosophe n’a remarqué ce que n’importe quel individu du bas peuple comprend sans qu’on ait besoin qu’on lui explique : que le bonheur trouve sa source dans les liens qui nous unissent aux êtres et aux choses. Heureux les pauvres en esprit… 🙂