Dieu est Parole et Lumière
« Au commencement était la Parole » : ce début bien connu nécessite déjà d’importants commentaires1.
Jean s’intéresse au sens de la venue du Christ dans le monde d’un point de vue spirituel, théologique. Qui est Jésus par rapport à Dieu, que nous révèle‐t‐il de lui, qui est Dieu et comment agit‐il dans le monde ?
Ce que dit Jean, c’est que Dieu est à la fois parole et lumière. Nous sommes ainsi au-delà d’un Dieu tout‐puissant, vivant au ciel, sachant tout, décidant de tout. Et nous voyons alors un Dieu qui est à l’œuvre dans le monde.
Parole
Dieu est parole. S’il est Parole, il n’est pas tout‐puissant : la parole ne peut pas contraindre ni imposer. La parole, c’est une proposition, une persuasion, un appel. Dieu est ici montré comme apportant une information créatrice, en proposant, comme dans le très connu « j’ai mis devant toi la vie et la mort, choisis la vie ». Il n’agit pas hors des lois de la nature. Et par rapport à l’homme, l’action de la parole de Dieu demande l’adhésion pour pouvoir être efficace.
Lumière
Ensuite, le texte dit que Dieu est lumière. C’est une affirmation essentielle, que la lumière n’impose rien, elle éclaire le chemin, les choix, et permet à chacun de trouver sa propre route avec intelligence.
Cela va dans le sens du Psaume 119 (v. 105) qui dit à Dieu : « ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier ». Le psaume ne dit pas « ta parole est le sentier que je dois suivre », mais il montre que la parole de Dieu peut éclairer notre route.
Ainsi, chacun a une route qui est la sienne. Et cette parole ne nous met pas dans un rapport de soumission passive, où il faudrait croire et faire tout ce qu’elle dit. Elle éclaire, ouvre des horizons et nous permet de choisir.
Le logos
Pas besoin de se référer à la philosophie grecque pour expliquer ce mot « logos ». Dans le judaïsme, la notion de « parole » est bien connue, elle est exprimée par le mot « dabar » en hébreu ; et « dabar » est traduit dans la Septante2 , depuis 300 ans avant Jésus‐Christ, tout naturellement par le mot « logos ».
Les Hébreux parlaient de la « parole de Dieu » (« logos tou théou » ), qui a chez eux une importance considérable. On sait en particulier que Dieu a créé le monde par sa parole. Selon Genèse 1, Dieu crée en parlant : « Dieu dit : que la lumière soit ». Le prologue de Jean est ainsi un commentaire, une reprise, du récit de la création du monde selon les premiers mots de la Genèse.
L’évangile de Jean et la Genèse en grec commencent de la même manière : « en archè ». C’est pourquoi il a souvent été dit que ce prologue de Jean est une sorte de commentaire du récit de la création du monde. C’est de la pensée juive et rien n’empêche qu’il soit plus ancien qu’on ne le dit en général.
Jean reprend donc l’idée du Dieu créateur, et donne une importance particulière à sa parole créatrice.
Auprès de Dieu ?
Mais les choses se compliquent très rapidement. Juste après la première affirmation, il est dit, selon les traductions habituelles : « et la parole était auprès de Dieu », ce qui donne l’impression qu’il y a une distinction entre Dieu et sa parole.
Cela devient extrêmement difficile à comprendre, voire inintelligible. En effet, comment comprendre qu’il y ait Dieu d’un côté, sa parole de l’autre ? Que sa parole soit une sorte d’être indépendant, comme une personne autre que lui qui serait comme co-existante à ses côtés ? En plus, ce qui est totalement absurde c’est qu’à la fin du premier verset, Jean conclut en disant « et la parole était Dieu ». Il identifie alors Dieu et sa parole alors qu’avant elle était dite « auprès » de lui, ce qui les suppose distincts. Elle ne peut pas être à la fois auprès de Dieu et Dieu lui‐même, c’est tout à fait inintelligible.
À partir de là, il y a eu de très nombreux commentaires, et beaucoup de façons de s’y prendre pour essayer de résoudre le problème. La plus simple serait tout simplement de rechercher le sens exact de la préposition « pros » en grec qui est utilisée là. Son sens le plus fréquent est effectivement « à côté », « tourné vers », mais elle peut aussi désigner l’appartenance. Comme c’est le cas en Romains 15,17 : « J’ai donc sujet de me glorifier en Jésus‐Christ, pour ce qui est à Dieu » avec la même formule : « pros ton Theon ».
Celle de Dieu ?
Autrement dit, on peut traduire ce premier verset par « au commencement était la parole, et la parole était celle de Dieu et la parole était Dieu ». C’est alors très clair : ce qui est à la base de tout c’est une parole, mais pas n’importe quelle parole, la parole de Dieu, c’est‐à‐dire la parole créatrice, Dieu dit…
Jean nous donne ensuite une autre information théologique essentielle : cette parole est Dieu, donc Dieu est assimilable à son propre acte créateur ; Dieu, en soi, est parole, et la parole de Dieu, c’est Dieu.
C’est là la solution la plus simple mais, curieusement, toutes les traductions et la plupart des commentaires vont vers une dissociation de Dieu et de sa parole. Et ces traductions imposent aux bonnes volontés qui veulent découvrir la Bible une bouillie théologique incohérente, et on comprend que bien des gens s’écartent de la religion chrétienne quand on leur dit qu’il leur faut adhérer à des messages totalement irrationnels et inassimilables.
La Parole et le fils de la Trinité
Le débat sur la nature de cette « parole » existe depuis très longtemps. Dès les premiers siècles de notre ère, de très graves discussions à propos de cette « parole » ont agité le monde chrétien.
Aujourd’hui, quand on lit « lorsque Dieu créa le monde, la parole existait déjà », on peut se demander quelle théologie sous‐jacente a pu motiver l’auteur de telles traductions, au point de rendre incompréhensible un texte qui est pourtant si beau et si clair3.
Un autre problème est lié à tout cela, et infiniment plus important que ce qu’il n’y paraît. C’est qu’à partir du deuxième siècle, Tertullien (né en 150) a eu l’idée curieuse d’appeler « fils de Dieu », ce « logos », la parole éternelle de Dieu. Et c’est à partir de ce moment‐là qu’on a commencé à développer la doctrine de la Trinité.
La doctrine
Celle‐ci affirme qu’il y a le Père, le Fils et le Saint‐Esprit, et tous les trois sont une seule essence et trois « hypostases », ou « personnes » de la divinité.
Et c’est là qu’arrive l’un des plus graves contresens de l’histoire de la théologie. Aujourd’hui, en effet, la plupart des gens, et même des pasteurs et des prêtres sont persuadés que quand on enseigne que le Père, le Fils et le Saint‐Esprit sont trois fois Dieu, il faut entendre par «fils » : Jésus Christ. Ils sont donc persuadés que la doctrine de la Trinité impose que Jésus soit Dieu lui‐même.
Or, ce n’est pas cela que signifie la Trinité, en tout cas au IIIe siècle, ni ce qu’elle enseigne aujourd’hui d’après les ouvrages de théologie classique. Ce qu’enseigne la Trinité, c’est que quand on dit que le Père, le Fils et le Saint‐Esprit sont Dieu, ce que l’on entend par « Fils », ce n’est pas Jésus de Nazareth, mais le Verbe éternel de Dieu, c’est‐à‐dire ce « logos » dont il est question dans le prologue de Jean.
La Trinité ne dit donc rien d’autre que Dieu est à la fois « Père », « logos », c’est‐à‐dire parole créatrice, et qu’il est aussi « Esprit ». Quand on sait cela, on voit que la Trinité n’impose pas de dire brutalement « Jésus égale Dieu ». La Trinité ne parle pas directement de Jésus de Nazareth, mais du Verbe éternel qui s’est incarné dans l’homme Jésus de Nazareth, né dans le sein de Marie.
Une idée simple
Donc, attachons‐nous simplement au fait que la doctrine de la Trinité affirme seulement que Dieu, à la fois, est Père, qu’il est Parole et qu’il est Esprit. Cela est théologiquement tout à fait admissible, à condition qu’on ne fasse pas de la Parole une sorte de personne indépendante, ou de second Dieu, mais qu’on considère que ce sont trois aspects de Dieu, que Dieu peut se révéler comme Père, qu’il peut se révéler comme Parole créatrice et qu’il peut se révéler en tant qu’Esprit, puisque « Dieu est esprit » (Jn 4,24).
Cela, c’est la Trinité ainsi qu’elle est comprise chez tous les grands théologiens et jusque chez Thomas d’Aquin. Il consacre de très nombreuses questions à la Trinité dans lesquelles il parle du Père, puis du Fils. Et il dit bien que quand il parle du Fils cela concerne le « verbum dei ». Il démontre que la parole créatrice de Dieu est l’égale de Dieu, et qu’on ne peut pas considérer que la parole de Dieu soit une sorte d’être à part. Il avait raison.
Et si l’on continue le texte de Jean, on peut voir ce qu’il en est du Christ lui‐même. La formule de l’incarnation.
À suivre …
D’après Louis Pernot
- Pour lire le texte, cliquez ici ↩︎
- La Septante (qu’on écrit aussi LXX) désigne une traduction en grec de la Torah (les cinq premiers livres de la Bible), effectuée au IIIe siècle avant notre ère. On l’appelle ainsi parce qu’elle est réputée avoir été élaborée par 72 érudits. ↩︎
- Idée troublante, Jean s’est peut-être rappelé un passage du Livre des Proverbes chapitre 8, qui fait parler la Sagesse en ces termes :
22 L’Éternel me créa au début de son action, antérieurement à ses œuvres, dès l’origine des choses.
23 Dès les temps antiques, je fus formée, tout au commencement, bien avant la naissance de la terre.
24 II n’y avait pas encore d’océan quand je naquis, ni de sources chargées d’eaux.
25 Avant les montagnes plongeant dans les profondeurs, avant les coteaux, je fus douée de vie. ↩︎