Henri Grouès, jeter la Pierre

Henri Grouès était dit “Abbé Pierre” bien qu’il n’aie jamais dirigé une abbaye. Au retrait dans une vocation qui mène certains à vivre dans l’onctuosité et l’insignifiance, il a préféré donner de lui-même, de son temps, de son énergie, parfois au risque de sa vie.

Las, il n’était pas sans défaut et sa vie personnelle comprenait des zones d’ombre apparemment inadmissibles.

Je dis “apparemment” parce que, à ma connaissance, la justice de la République Française – à laquelle devraient être attachés aussi ceux qui l’attaquent – indique que chaque accusé a le droit de se défendre au cours de son procès. Elle dit aussi qu’un procès en accusations aussi graves ne peut se tenir en l’absence de l’accusé.

Où est-il celui que l’on accuse ? Peut-il se défendre ? Où sont les preuves ?

En l’absence de tous ces éléments, « on » n’est pas loin des excès de la claie d’infamie. Les protestants (dont je fais partie) en savent quelque chose par mémoire et histoire interposées.

Déterrer les morts

Qu’est-ce que la claie d’infamie ?

C’est un châtiment effroyable qui avait cours encore au XVIIIe siècle. On attachait le condamné sur une claie, laquelle était tirée par des chevaux dans toute la ville. Quel rapport avec le cas qui nous occupe ? Eh bien, précisons que le fait que la condamnation était à titre posthume ne changeait rien au châtiment. On ouvrait la sépulture, on déterrait le mort et on promenait son cadavre en décomposition sur une claie, tout comme s’il était encore en vie.

Le régime d’Union Soviétique avait, en son temps, procédé à la « déstalinisation », aujourd’hui on retire des statues, des plaques commémoratives, on essaie de détruire la mémoire. Rien de très honorable dans tout cela.

Les ravages de l’idolâtrie

L’exemple du déboulonnage de statues de « grands hommes » est bien représentatif des aberrations commises quand trop d’amour se trouve déçu.

Pour éviter ces excès, il faut considérer qu’il n’y a pas de grands hommes, pas de saints, pas de gens parfaits. Comme le dit l’historienne Jacqueline Lalouette, « Personne n’est innocent aux yeux de l’histoire, il n’est pas souhaitable que les statues mettent en avant la seule facette honorable des personnes représentées, mais c’est pourtant ce qu’elles font depuis toujours. »

« Pour moi, l’Abbé Pierre était Dieu, dit une des plaignantes ». Les exemples sont nombreux de démonstrations inconvenantes envers lui. Dans ces moments, on s’arrachait des morceaux de son manteau, des poils de sa barbe, comment ne pas réprouver cette atmosphère ? En effet, chacun doit savoir que l’idolâtrie, le besoin de contempler la sainteté, l’affichage de multitudes de photos du saint, les pèlerinages sur ses lieux de vie, tout cela est une perversion comme une autre. Et alors, plus dure est la chute.

Face au risque de crise, il ne faut pas :

  • manquer de discernement avant,
  • manquer de sang-froid pendant,
  • et manquer de charité après…

Et toi, qu’as-tu fait de ton talent ?

Il est inutile de rappeler toute l’œuvre de l’abbé Pierre. Du moins, ce devrait l’être. Car des voix s’élèvent – qui avaient auparavant littéralement déifié le personnage – pour dire que, finalement, il n’a pas fait tant de choses que cela, que d’ailleurs il n’était pas seul, que les idées venaient souvent de sa « secrétaire » Lucie Coutaz…

Le passage de l’amour excessif au rejet également excessif est une posture classique, presque universelle, qui témoigne, souvent mais pas toujours, d’un manque de maturité. Ou d’un manque de sang-froid. Ou d’un manque de charité.

Mais la question que l’on peut poser aussi est alors : et vous ? Qu’avez-vous fait de remarquable de votre vie ? Avez-vous été dans la résistance ? Avez-vous logé des sans-abris ? Avez-vous lutté encore et encore, en exploitant au maximum une notoriété étendue, contre la pauvreté, le désespoir, le découragement ?

Ces personnes qui vilipendent cet homme, qu’ont-elles fait, elles-mêmes, sur le thème de l’amour du prochain ?

Et l’église catholique, qui, le pape en tête, déclare avoir honte de ce que l’abbé Pierre a fait, a-t-elle déclaré avoir honte d’avoir, de tous temps, caché des crimes et des criminels ?

Oui, qu’as-tu fait de ta vie, toi qui juges et condamnes ?

Le célibat et l’abbé

J’ai lu quelque part1 que l’abbé Pierre avait publiquement exprimé ses tourments avec le célibat. Que ce soit vrai ou pas, il n’en reste pas moins que cette obligation de célibat, qui pèse théoriquement sur les prêtres, pose problème.

On ne devient évidemment pas un déviant sexuel à cause du célibat. On est ici en présence d’une psychopathie qui peut frapper dans toutes les couches de population.

MAIS, n’oublions pas qu’il y a certaines personnes qui sont anxieuses vis-à-vis de leur sexualité. Certains hommes craignent la féminité. Ils peuvent ressentir des envies de faire souffrir, de traiter les femmes comme des objets. Pour faire simple, ils en ont peur. Dans un cas de ce genre, il est clair que l’entrée dans les ordres peut alors être ressentie comme une solution-refuge, un lieu où la seule femme à laquelle on prête attention est qualifiée de vierge perpétuelle, une fonction où les femmes, enfin, seront en dévotion devant vous.

Finalement, une question se pose : Henri Grouès , quoi qu’on en pense, a donné de l’aide, de la tendresse, de l’amour. Et lui ? A-t-il reçu de l’aide, de la tendresse, de l’amour ? Peut-être, mais peut-être pas. Il a surtout reçu de la notoriété, de l’adulation, de l’admiration, des honneurs sans fin. Mais chacun sait bien que cela ne suffit pas à ce qu’un homme se sente aimé. Et cela peut mener à des déviances condamnables2.

Gilles et Anne-Marie

  1. Voir aussi le livre Mon Dieu … pourquoi ?, recueil d’échanges entre Frédéric Lenoir et l’abbé Pierre peu de temps avant sa mort. ↩︎
  2. Dans le même sens, on pourra lire également notre article “Pédophilie, que savons-nous de ses origines ?” ↩︎

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