Dieu, de quel genre est-il ?
Quand on pense Dieu, on pense souvent “Dieu le père”. C’est une idée plus qu’une opinion, et une anecdote citée par Corinne Lanoir le montre bien.
Der Gott ou das Gott ?
À la fin de l’année 2012, en Allemagne, une journaliste a interviewé la ministre de l’Éducation, Kristina Schröder.
Elle lui demandait quelque chose qu’en France on ne demanderait certainement pas à un ministre. Elle demandait s’il lui était difficile de parler de Dieu au masculin à sa fille. Kristina Schröder a répondu que oui, c’était un peu compliqué. Mais que, finalement, on pourrait tout aussi bien donner à Dieu le genre neutre, puisqu’en allemand, on a cette possibilité qui n’existe pas en français, c’est à dire d’appeler Dieu non pas der, mais das.
Ça a soulevé un tollé en Allemagne, en particulier chez les conservateurs pour qui, apparemment, Dieu est toujours du genre masculin, clairement sans négociation. Une élue chrétienne-démocrate s’est dite muette devant une telle stupidité, de faire une proposition de ce genre. Et un autre a dit que, pour nous chrétiens, Dieu est manifestement le Père. Il doit en rester ainsi. Et il est triste de retirer à nos enfants les images fortes qui sont si importantes pour leur imagination. Voilà ! Allemagne !
Un double genre
On n’a pas toujours pensé Dieu comme essentiellement masculin. Dans la haute antiquité, on a d’abord vu des représentations de Déesses, avec des attributs féminins plutôt généreux, puis des caractères virils sont apparus sur les statues de divinités, barbe, pénis, tout en conservant l’aspect féminin, notamment des seins bien visibles. Enfin, la montée des monothéismes a délibérément effacé ces ambiguïtés et on est passé clairement à un Dieu-Père.
On connait toutefois quelques restes de ce “double genre”, pourrait-on dire. Par exemple, rappelons-nous la Genèse1 : “Dieu créa l’homme à son image; c’est à l’image de Dieu qu’il le créa. Mâle et femelle il le créa.”
Le problème qui se pose depuis, est que ce qui n’était qu’une différence entre homme et femme, est vite devenu une opposition entre eux, puis très vite on va construire un rapport hiérarchique, un rapport de domination.
Dès cet instant, vont se figer l’ensemble des rôles sociaux et des symboles qu’on attache à un sexe – qui, en soi, ne les porte pas. Non seulement on va les opposer, mais les organiser hiérarchiquement.
Quelle est l’attitude des féministes ?
Le travail des théologiens féministes tente de mettre en évidence ce phénomène, et de dénoncer l’image de Dieu qui en découle, car cette image peut devenir complètement idolâtre. Pour un certain nombre de gens sur la planète – et en particulier les femmes – cette façon de parler et de représenter Dieu est assez immorale. Elle justifie en effet les systèmes de domination qui existent un peu partout.
Ce phénomène pose beaucoup de problèmes, on peut en discerner trois.
Le problème du mariage
Le premier problème est un problème culturel. On utilise souvent, pour parler des relations entre Dieu et les humains, la métaphore du mariage. Mais le mariage ici, dans ce contexte, c’est un mariage entre inégaux, entre un fort et un faible.
Le mariage de deux personnes égales n’existe pas dans cette société. Le corps de la femme est la propriété de son mari et l’adultère est un délit de propriété. Une femme ne peut être que conquise ou dominée, et il semble un peu difficile de prendre ces textes-là aujourd’hui pour réfléchir sur la conjugalité, sur l’adultère, sur tout ce que vous voulez de la vie d’aujourd’hui.
Le point de vue du prêtre
On a aussi un deuxième problème qui est un problème de type anthropologique. Au cours des siècles – et on peut espérer que ce soit un point de vue abandonné aujourd’hui – un prêtre a eu un point de vue de prêtre sur le corps des femmes.
Qu’était – ou qu’est encore – un point de vue de prêtre ?
Il consistait à essayer de dominer le corps des femmes. Le grand problème qu’on trouve dans beaucoup de textes sacerdotaux2, c’est qu’il y a des choses, chez les femmes, qui sont difficiles à contrôler. En particulier, il est impossible de contrôler les écoulements des corps. Seulement, ne pas maîtriser ces écoulements, c’est une possibilité de retourner au chaos d’avant la création. Donc, ce contrôle, cette domination, c’est extrêmement important. Et le corps des femmes est bien un élément incontrôlable à ce niveau-là et ça pose énormément de problèmes. Donc on essaye de les dominer le plus possible.
Un Dieu jaloux
Troisième problème qui, lui, serait un problème théologique : Dieu est un Dieu jaloux, prêt à toutes les violences. On l’a même vu prêt à faire violer sa femme par toute une bande d’hommes prédateurs, parce qu’il estimait qu’elle ne s’était pas conduite comme elle aurait dû3.
Et donc, comment faire ? Est ce qu’il faudrait préférer un Dieu politiquement correct ? La question est posée et elle n’est pas facile à résoudre.
Lever les tabous
En conclusion, c’est extrêmement intéressant que cette réflexion féministe ait lieu, parce qu’elle lève des tabous, elle parle de choses dont on ne parle pas. Et souvent, cela peut permettre à des femmes de raconter leur histoire. C’est générateur de parole et générateur de libération parfois.
- Genèse 1 :27 ↩︎
- Lévitique 15, notamment ↩︎
- Ezéchiel 16 ↩︎